Entrepreneuriat culturel :
Quelle diversité des modèles économiques dans les filières ?
animée par Laurent Jacques (Next Level Formation)
avec Olivier Tura (Trempolino), Andréanne Jacob (Cabinet Undae), Godefroy de Compreignac (Lone Stone Studio) et Johan Chiron (L’Incroyable studio).
Lors du Forum Entreprendre dans la culture à Nantes, la table-ronde animée par Laurent Jacques, journaliste et formateur, a permis de découvrir une diversité de parcours d’entrepreneurs culturels et de mesurer l’importance des accompagnements et financements dans l’élaboration des modèles économiques. Retour sur les échanges et conseils des professionnels de la culture.
Lancer son activité, entre aides publiques et fonds privés…
Les parcours et motivations des entrepreneurs dans la culture sont singuliers et conduisent à développer des modèles économiques variés. Lone Stone Studio est né de la passion de Godefroy de Compreignac pour les jeux vidéo. Par manque de temps, de financement et de moyens humains, le projet a été long à mettre en place. Afin de faire face à ces difficultés, les associés ont fait le choix de demander des aides publiques et des crédits d’impôts. Lone Stone Studio obtient alors du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) le crédit d’impôt et le fonds d’aide aux jeux vidéo : « Une subvention ne finance pas plus de 50% du projet et nous avons dû justifier de revenus et de capital pour compléter le financement. Comme le crédit d’impôt jeux vidéo s’applique l’année d’après, il faut avoir de la trésorerie pour tenir », témoigne Godefroy de Compreignac. Parallèlement, Lone Stone Studio a développé le consulting web, une activité que les associés ont souhaité consolider pour avoir une ressource régulière et ainsi continuer leur projet de jeu vidéo : « La première version du jeu City Inviders sera lancée en mai et testée au Stunfest à Rennes ».
Quant à Johan Chiron, il a créé L’Incroyable Studio et produit des séries, films et animations pour la télévision, les plateformes numériques et les réseaux sociaux. Avant de lancer leur société à Nantes, Johan Chiron et son associé ont réalisé un audit du territoire et des talents en présence – auteurs, scénaristes, professionnels de l’animation – afin d’estimer s’il y avait un tissu suffisamment présent pour lancer leur activité. Le lancement du projet a été pensé de façon à limiter la prise de risque financière. L’objectif était alors de proposer les premières phases d’écriture des projets, de les développer et apporter un réseau de diffuseurs. Dans la phase de développement de l’entreprise, il est apparu pertinent d’associer deux modes de financement : des financements publics par le biais de demande de subventions au CNC et au Conseil Régional, et des financements privés impliquant des diffuseurs. En effet, Johan Chiron considère que le diffuseur doit intervenir dans la phase de développement et de création, dans une logique partenariale de co-construction du produit. En effet, l’Incroyable Studio ne démarche pas avec un épisode dialogué, achevé, considérant qu’un épisode s’écrit pour une chaîne ou une plateforme. « Cela permet d’être en accord avec les attentes du diffuseur et de rentrer dans une case. Car pour qu’un projet existe et soit financé, il doit être diffusé. D’ailleurs, quand on crée quelque chose, on a envie que tout le monde le voie, c’est ça qui est important pour nous », souligne Johan Chiron.
Les différentes sources de financement pour se développer
De nombreux dispositifs et sources de financement existent aujourd’hui dans le secteur culturel pour asseoir ou développer un modèle économique. La première est sans aucun doute l’autofinancement, comme en témoigne Andréanne Jacob, expert-comptable et commissaire aux comptes : « Les structures doivent tout d’abord vendre leurs produits sous différentes formes, avec le modèle économique le plus pérenne possible ». Andréanne Jacob a créé il y a 2 ans Undae, cabinet d’expert-comptable et d’audit, mais aussi structure accompagnant les TPE, PME et associations sur la thématique de la transition économique et du développement durable. Le secteur culturel est prépondérant dans ses activités d’accompagnement et elle constate que les entrepreneurs, afin de faire face à des besoins de financements, investissent du temps pour diversifier leur modèle économique et trouver les solutions les plus adaptées au développement de leur projet : « Le premier partenaire est la banque, leur travail est de financer les projets ».
En complément, il existe les aides publiques, notamment sous forme de subventions, le financement privé, à savoir le mécénat, le financement participatif, les investisseurs privés ou business angels, et par ailleurs les réseaux, à l’image de Réseau Entreprendre, Nantes Initiative, etc. Il existe aussi un autre type de financement, la Love Money : Godefroy de Compreignac conseille d’avoir recours à ce financement, en provenance de la famille ou des amis et destiné à être remboursé plus tard, uniquement s’il s’agit « d’utiliser l’argent pour avoir un certain capital, obtenir des subventions et gagner la confiance des gens ».
Par ailleurs, les co-productions représentent aussi une source de financement complémentaire, notamment dans le spectacle vivant, comme en témoigne une personne dans le public, travaillant pour l’ensemble de musique contemporaine Utopik à Nantes. Les co-productions s’apparentent à « séduire un partenaire artistique et l’emmener sur un projet de création qu’il contribuera à financer. Il s’agit plutôt d’une aide pour un projet, mais si les frais de structure, les frais de salariés permanents ou les frais fixes sont intégrés dans le budget, les co-productions peuvent alors aider à financer la structure ». Le partenaire peut être une scène nationale ou un autre diffuseur. Au-delà de l’aide financière, il est aussi un relais pour commercialiser le spectacle. De plus, cette action des diffuseurs est elle-même susceptible d’être soutenue par des subventions, à l’image de Voisinages en Région des Pays de la Loire, une aide pour les lieux de programmation du spectacle vivant.
Enfin, démarcher de grandes entreprises pour les amener à investir dans un projet peut être une option à envisager : « Les producteurs de jeux vidéo peuvent bénéficier de financement ou de la propriété intellectuelle d’une grande entreprise, par l’apport d’une licence ou d’une marque » explique Godefroy de Compreignac, même si « pour l’instant, Lone Stone Studio a décidé de développer sa propre licence et sa propre distribution ». Dans tous les cas, « il faut convaincre, et pour cela, il faut connaître les attentes des différents types de réseaux », souligne Andréanne Jacob. Elle constate aussi que les porteurs de projets, en particulier asociatifs, n’ont pas toujours la culture ou le langage lié aux problématiques de financement : « Certains sujets ne sont pas simples à traiter dans les associations, par manque de cadrage, de clés ou d’accompagnement sur les problématiques fiscales et juridiques ».
Des aides publiques au financement participatif
Chaque secteur possède ses automatismes pour rechercher des financements. Selon Johan Chiron, « L’audiovisuel demande habituellement des aides au CNC. Les aides sont de mieux en mieux dotées, notamment pour les nouveaux médias. Il existe aussi des fonds d’aides à la création pour les youtubeurs ». Pour lui, cette démarche nécessite un investissement temps et financier, et beaucoup de réactivité. L’incroyable Studio vise surtout les aides dédiées aux projets ou programmes de développement, ainsi que les aides destinées à accompagner les structures dans leur stratégie.
Du côté du financement pour les musiciens et les projets du secteur musical, Olivier Tura, directeur de Trempolino à Nantes, observe que les très jeunes projets et les projets émergents ont des difficultés à se faire reconnaître, en raison du nombre de garanties demandées pour déclencher les financements. « Les aides à la création ou à la résidence, du Conseil départemental ou du Conseil Régional, demandent d’avoir des préachats, mais pour cela, il faut avoir déjà démarché les salles et avoir réalisé des temps de résidence. Les uns peuvent être difficilement débloqués sans les autres ». La deuxième difficulté qu’il constate est la réduction des aides et soutiens. C’est la raison pour laquelle, selon lui, le crowdfunding s’est développé fortement ces dernières années, « seul moyen de faire émerger des projets artistiques sans avoir toutes les garanties autour pour lancer le projet ». Pour réussir une démarche de crowdfunding, il conseille d’avoir une fan base structurée qui permettra de faire parler du projet. Godefroy de Compreignac souligne que cette règle de communauté de base est tout aussi valable dans le domaine du jeu vidéo, mais indique que le crowdfunding ne fonctionne pas avec toutes les typologies de projets, notamment les jeux freemium. Les courts-métrages utilisent beaucoup le financement participatif, contrairement aux séries qui ne l’utilisent pas, selon Johan Chiron : « Afficher un crowdfunding dans le modèle économique enlève toute crédibilité au projet. Les diffuseurs n’aiment pas ça. Cela montre qu’on ne prend pas notre part de risque financier ou qu’on n’a pas réussi à trouver d’autres partenaires ». Andréanne Jacob conseille de rester prudent quant au crowdfunding, en évaluant bien la faisabilité au regard des compétences et moyens de l’entreprise ou de l’association, afin d’éviter des expériences malheureuses. Selon elle, les structures ne possèdent pas toutes la culture, les connaissances ou le temps nécessaire pour chercher un financement participatif et de ce fait, ne conduisent pas l’opération de façon optimum en marketant, animant et communiquant sur les réseaux sociaux.
Continuer ou arrêter : la vie d’un projet culturel
Face aux difficultés à obtenir des financements, consolider et pérenniser un projet culturel, un entrepreneur peut parfois se poser la question de continuer l’aventure. Johan Chiron témoigne : « Pour moi, il y a une durée de vie limitée dans l’envie de porter un projet. La vie et la mort d’un projet sont liées au porteur du projet et à son expérience. J’ai commencé à travailler chez des diffuseurs en sélectionnant les projets qu’on allait financer. Pour moi, un projet est jetable. S’il ne convient pas, je ne le prends pas. Côté artiste, si mon scénario ne convient pas, je le jette et je ne le défendrais pas jusqu’au bout. Il faut savoir se renouveler et passer à autre chose ». Pour Godefroy de Compreignac, il faut être agile concernant le fonctionnement de l’entreprise, le management et les modes de financement : « On n’a jamais eu autant de modes de financement possibles, il faut faire des essais et ne pas rester bloqué dans sa tentative… Si elle ne marche pas, il faut savoir changer ».
Selon Olivier Tura, les musiciens viennent aujourd’hui avec un projet artistique, pensé sur un temps très court, pour essayer de le diffuser au maximum. Pour lui, « il est nécessaire de penser à une stratégie à moyen terme pour se maintenir le plus longtemps possible en carrière et avoir les possibilités de vendre et de diffuser le projet pour lequel on a envie de mettre ses tripes sur scène, même si on sait que ces moment-là ne durent pas dans une carrière. A côté, il faut développer un ensemble de compétences, avoir d’autres activités et sources de revenus ».
De l’importance de se faire accompagner à différentes étapes
Il est donc important de se faire accompagner à différentes étapes et de confronter son projet. Godefroy de Compreignac conseille de se rapprocher des associations fédérant des acteurs similaires à son activité. C’était le cas pour lui avec Atlangames, association fédérant la filière des jeux vidéo en Pays de la Loire et Bretagne : « ça nous a permis de découvrir les modes de financement, de rencontrer les acteurs locaux, d’avoir des gens avec qui échanger, aussi bien sur la technique que sur les méthodes de management ». Idem pour Johan Chiron : « La Plateforme propose un parcours d’accompagnement permettant d’avoir des sessions avec des tuteurs et d’autres auteurs : on rentre dans le projet, on le cabosse volontairement, s’il reste debout, c’est bon signe et s’il ne reste rien, la solidité du projet était peut-être à démontrer ».
D’autres structures sont spécialisées dans l’accompagnement de projet d’artistes. A Nantes, Trempolino accompagne les musiciens dans leur dimension entrepreneuriale, avec un ensemble de dispositifs et programmes pour les musiciens amateurs ou professionnels souhaitant développer leur carrière. Trempolino les aide à se professionnaliser et s’insérer sur le marché.
L’objectif est aussi que les projets et les financements se rencontrent du mieux possible, comme le relate Andréanne Jacob : « Il faut s’accrocher et être pragmatique parce qu’on ne peut pas passer 80% de son temps sur des dossiers de subventions ou de prêts. Il faut trouver un équilibre et ne pas hésiter à exploiter les réseaux et les structures ».
Un terroir culturel fort, point d’appui pour rayonner
Nombre d’entrepreneurs et de structures du milieu culturel sont attirés par les Pays de la Loire pour créer ou développer leur activité. Johan Chiron témoigne : « Un prestataire parisien va produire une série dans notre studio d’animation. La productrice adore Nantes pour deux raisons : c’est une ville où la culture est réellement ancrée, où il n’y a pas besoin de justifier la culture. De plus, elle n’a jamais entendu les gens parler aussi bien de leur ville ». Olivier Tura rajoute que le territoire ligérien abrite beaucoup d’initiatives dans tous les champs et secteurs d’activité culturels, et au-delà de la richesse intellectuelle que cela peut apporter, ce phénomène entraîne énormément d’opportunités de marché pour les artistes et notamment pour les musiciens, de pouvoir composer des musiques pour les jeux vidéo ou les films, de pouvoir proposer ou s’inscrire dans des projets touristiques, etc. « Ces opportunités permettent de développer des ressources financières pour les artistes, et de structurer l’écosystème pour continuer à faire parler de la ville et du territoire au-delà des frontières nationales ». Il pense que c’est un des enjeux actuels : le territoire français est relativement limité pour développer les projets artistiques et il est nécessaire de construire un écosystème structuré et convergent pour aller à l’échelle européenne et internationale.
crédit photo ©_David_Gallard_@_Clack